Gérard Fabre
Artiste
Né en 1955 à Marseille
Vit et travaille à Marseille
On écrivait, il y a tout juste dix ans, « Gérard Fabre dessine donc, mais ce qui naît de son travail graphique n’est pas vraiment du dessin ». Pour nous faire mentir ou plutôt pour mettre le critique, le regardeur et lui-même en porte-à-faux, il réalise depuis quelques mois des dessins extrêmement coloré, maniaquement fidèle aux diverses manipulations possibles de ses sculptures et de grand format, mais en maintenant une distance réelle et feinte grâce à la couleur… Dessins apparents et réelles peintures, éclats de couleurs et importance du trait, tout dans cette position paradoxale nous rappelle que Gérard Fabre sculpte donc, mais que tout ce qui naît de son travail de volume n’est pas nécessairement du volume. Car cette oeuvre nonchalante qui dérive apparemment entre papiers (sculpture ou dessin), sculpture (volume ou deux dimensions) et graphisme (volume ou dessin) instaure des dispositifs d’ouverture s’abreuvant à toutes les ressources de la manipulation, même celles qui sont le moins concernées par la sculpture. Ces inspirations composites qui débouchent sur des installations entre peinture, sculpture et dessin (mais aussi désign, objets ou fresque) sont impures comme seul sait l’être l’art depuis le début du vingtième siècle.
Ce que l’image et les techniques de représentation du dessin ou de la peinture permettaient, au dix-huitième siècle (c’est-à-dire l’illusion portée à son comble, le trompe-l’oeil comme rhétorique aristotélicienne), la confusion du réel et du créé le permet également aujourd’hui. C’est à l’instant même où le spectateur vacille et ne sait plus exactement s’il est encore au musée ou déjà dans sa cuisine ou dans un appartement de démonstration, que l’objet désigné réussit à imposer un espace intermédiaire (à la fois création et espace de création). L’important n’est plus alors que l’objet soit ou non invention totale, qu’il ait été façonné ou non de la main de maître. Il faut qu’il soit capable d’ouvrir, sous les pieds de celui qui le contemple, les abîmes de l’ambiguïté. Qui s’avéreront aussi, peut-être, les frontières d’un autre type d’espace pour l’objet et pour le regardeur. Quand Gérard Fabre emprunte à la banalité et au design des formes qui se fondent en une seule expérience à partir d’expériences démultipliées, qu’il les simule et les dissimule dans une armure de couleur, dense, statique, lourde, d’où ne surgissent que des semblants d’images, alors s’instaure une logique de guingois, découvrant dans le boiteux, le dégingandé et l’instable le territoire quasi introuvable ou la logique du sculpteur rejoignant celle de l’objet.
Son propre univers, acidulé et presque non-sensique, se retourne en doigt de gant pour remettre le spectateur en face d’un reconnaissable, d’un visible qui devient, déplacé, le comble de la surprise. Et même si on énonçait tous les cas de figures possibles qui peuvent se lire dans cette ordonnance, l’effet de reconnaissance/stupéfaction fonctionnerait encore.
Il n’est donc pas trop aventureux de dire que cette pratique (qu’on pourrait croire illogique) de l’objet, dans sa spécificité d’entre deux rives (sculpture ou pas sculpture, objet ou pas objet, sujet ou image), s’immisce quelque part entre la trivialité immédiate de l’objet en soi et un mode (un monde) de représentation qui jouit d’une dualité difficilement démélable. Il y a à la fois de la Vanité (pensée sur la durée infime du monde d’ici-bas, en tant que genre plus souvent pictural que sculptural), du design, de l’installation, de la nature morte et du trompe-l’oeil dans ces propositions multiples. Alors qu’on aurait pu penser que la technique (et l’objet même du trompe-l’oeil qui est de faire apparaître une image en deux dimensions comme tridimensionnelle, une image reconstituée comme une image constitutive) appartenait définitivement au passé, battue en brèche par d’autres fabrications plus contemporaines (de la vidéo à l’image infographique) qui auraient rendu caduques les prétentions que s’était fixé Gérard Fabre à partir d’une certaine idée du décoratif.
Si la sculpture de Gérard Fabre, dans son éclatement tout azimut et ses transformations (de l’ironie à la destruction, du minimal à l’emphase) ressemble à s’y méprendre à notre début de siècle, il ne faut pas lui en faire grief. Au contraire, c’est un signe de santé et de lucidité que de faire oeuvre au présent, sans céder aux demandes de plus en plus pressantes pour que l’art (peinture et sculpture en particulier) reviennent dans le giron d’un ordre sociologique ou historicisant. Les lignes divergentes que l’on croirait débusquer dans ses pratiques arborescentes appartiennent toutes au vocabulaire du sculpteur. On s’en convaincra en ouvrant au sein même de ce texte un mini dictionnaire de la sculpture. Qui tendrait à prouver que Fabre est un classique dont l’idée première était de s’incarner dans une sculpture classique, qu’il a fini par dévier, contourner, chantourner et sans doute, aussi, dévoyer.
Texte de François Bazzoli
Pour plus d’informations : http://www.documentsdartistes.org/artistes/fabre/repro.html